«Parler du génocide me permet de me racheter.»

Quoi de plus percutant pour parler de ce roman que cette citation pleine d’espoir qui apparaît dans les dernières pages ?

Loung Ung est une militante (CLFW) d’origine cambodgienne (aujourd’hui américaine) qui a vécu l’arrivée des Khmers rouges à Phnom Penh en 1975 alors qu’elle avait 5 ans. Avec ses six frères et sœurs et ses deux parents d’origine chinoise, le statut social de sa famille et la proximité du père avec le pouvoir renversé, Loung Ung va vivre cette révolution de plein fouet. Ce livre est son témoignage qui couvre les années 1975 à 1980.

Il faut remettre le livre dans son contexte afin de bien l’appréhender.

En quelques lignes, de quoi s’agit-il sur le plan historique ?
En 1975, les Khmers rouges (représentants du Parti communiste) dirigés par Pol Pot prend le pouvoir au Cambodge. Très vite, le parti va montrer son vrai visage : élimination des élites, des partisans de l’ancien pouvoir et des réfractaires, collectivisation de la production agricole, destruction de la vie « urbaine capitaliste » et retour à des valeurs de mises en commun, de ruralisation. Si ces premières actions sont violentes, ce n’est pourtant que le début de l’horreur qui va se poursuivre : déportation, travail forcé, camp de travail et camp pour former des enfants à la doctrine de l’Angkar («Organisation»), malnutrition, exploitation, deshumanisation et génocide global mais aussi des minorités (notamment vietnamienne et chinoise)… En 1979, les soldats vietnamiens entrent au Cambodge et renverse le pouvoir (mais la guérilla continuera jusqu’aux années 1990 comme l’évoque rapidement l’autrice dans son épilogue).

À la suite de la lecture, une interrogation subsiste : pourquoi ce titre ?
Il a le pouvoir d’interpeller et d’être choquant à plusieurs niveaux (il annonce de manière factuel et choquante la mort mais il montre aussi qu’on s’attaque avant tout à la personne jugée la plus forte de la famille, le pilier) mais, c’est un autre membre de la famille qui va mourir en premier (tué de manière indirecte par les Khmers rouges).

Ce que j’en ai pensé
Il est toujours délicat de jauger l’appréciation d’un témoignage autobiographique comme on le ferait avec une histoire complètement romancée. Difficile en effet de juger une histoire vécue, d’autant plus lorsque le témoignage se fait des années après, alors qu’on a grandi. Je vais pourtant partir de ces observations pour exposer la richesse du travail de l’autrice. Revenir sur un long événement douloureux de la petite enfance, en garder l’innocence tout en insufflant le recul et l’analyse sur la situation vécue est un exercice difficile que Loung Ung relève haut la main. J’irai même plus loin puisqu’elle réussi a nous faire entrevoir les grandes lignes de l’Histoire avec son analyse d’enfant, rendant l’horreur de la situation encore plus proche parce qu’elle met des émotions sur ce qui n’est que factuel dans les restitutions historiques.
La lecture est douloureuse et difficile, mieux vaut le savoir avant de plonger dans cette lecture. Je n’aime pas m’interrompre dans un livre pour le reprendre quelques jours/semaines plus tard, pourtant, j’ai du le faire pour celui-ci puisque je me sentais oppressée par l’horreur que je découvrais. Je n’étais pourtant pas au bout de mes peines lorsque j’ai décidé de faire cette pause puisque la famille avait alors vécu la première disparition d’un de ses membres. Lorsque j’ai repris ma lecture, tout s’est enchaîné et malgré la descente aux enfers, je n’ai pourtant pas pu décrocher du livre : j’avais besoin d’entrevoir le bout du tunnel et de savoir dans quel état Loung Ung et sa famille se trouvait en 1979 lors de la chute du régime.
Ce qui est à retenir dans ce livre, au delà du témoignage sidérant de cette période, ce sont les sujets encore actuels qui transpirent comme le racisme : les Khmers voulaient asservir des Cambodgiens et se débarrasser des autres, c’est à dire principalement des Chinois et des Vietnamiens. C’est la raison pour laquelle la famille Ung essaye de travestir leur voix, leur accent mais également se salît avec de la boue pour cacher la carnation plus claire de leur peau. Malgré une pseudo politique de collectivisation « pour tous », le témoignage montre à quels points les Khmers profitaient de la situation en usant par exemples des jolies jeunes femmes comme des objets sexuels. La politique passive/agressive a permis de ne pas totalement éteindre l’espoir des opprimés, mais la haine que ceux-ci vouent aux Khmers à la fin du régime montre à quel point la violence les a rongée de l’intérieur.
Malgré son âge, Loung Ung arrive à faire la part des choses lorsqu’elle est amenée à passer dans un camp plus « haut de gamme » qui doit la former à devenir un soldat : elle comprend l’image qu’elle doit renvoyer pour obtenir de la nourriture et une vie moins difficile mais ne se laisse pas endoctriner par les leçons pro-Angkar qu’elle reçoit.
Les derniers chapitres permettent de savoir comment la petite fille qui a tant souffert a réussi à s’en sortir et devenir la militante qu’elle est aujourd’hui. Bien que succincts, ils permettent de respirer à nouveau et de voir comment l’horreur subit peut se transformer en force pour aider les autres.

Un témoignage essentiel qui permet de se pencher sur une période historique que l’on connaît mal et/ou peu en France.

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Pour approfondir cette lecture, je vais me pencher sur l’adaptation d’Angelina Jolie qui date de 2017 et qui est disponible sur Netflix. Les critiques divergent dessus mais je souhaite me faire mon propre avis sur la question (et pourquoi pas venir en reparler ici).

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En lisant ce livre, j’ai également pensé à la magnifique bande-dessinée Mémoires d’un frêne de Kun-Woong Park qui raconte le massacre de la ligue Bodo à travers les yeux d’un frêne. Lorsque Loung Ung imagine comment certaines personnes de sa famille ont été tuées, je voyais les dessins de cette bande-dessinée tant les similitudes sont grandes. Je ne peux que vous inciter à la lire tant les graphiques sont percutants : peu de mots mais le dessin se suffit à lui-même !


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